Nichole Ouellette
présente
Esquisse générale
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Québec en photos
Fleuve Saint-Laurent
Section estuarienne
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ESQUISSE GÉNÉRALE DE LA FLORE LAURENTIENNE.
| II. - DYNAMISME DE LA FLORE LAURENTIENNE.
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B. ― FACTEURS DYNAMIQUES INTRINSÈQUES.
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1. FACTEURS D'ÉVOLUTION PROGRESSIVE.
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Il reste maintenant à examiner une autre cause d’isolement, un autre cas
d’insularisme physiologique. Dans un pays comme le nôtre, qui a subi à une
époque géologiquement récente l’épreuve de la glaciation, il est d’abord
intéressant de constater que presque tous les endémiques certains dont l’origine
ne peut s’expliquer par l’isolement durant le Pléistocène, sont établis dans les
estuaires, et particulièrement dans l’estuaire du Saint-Laurent. Nous entendons
ici par estuaire, ― nous l’avons dit plus haut,
― la partie des rivières
débouchant à la mer et baignée deux fois le jour par les marées d’eau douce.
Dans la première partie de cette esquisse, nous avons donné une liste des
principaux éléments de cet habitat, et signalé leurs adaptations écologiques à
ce milieu spécial. Depuis quelques années, on a étudié avec plus de soin les
plantes estuariennes, chez lesquelles on a décelé de notables déviations
morphologiques héréditaires, et une plasticité inusitée chez les plantes
terrestres ou palustres. Ces déviations ont été diversement considérées et
décrites comme espèces, variétés ou formes, tant il est vrai que la notion de
l’espèce biologique est encore largement subjective.
L’exemple le plus démonstratif des endémiques estuariens est sans doute le Gentiana victorinii, espèce confinée sur les grèves baignées par les marées
d’eau douce, et connue maintenant à peu près tout le long de l’estuaire.
L’espèce se rapproche du G. nesophila et du G. gaspensis, deux endémiques des
nunataks du golfe Saint-Laurent. Le
G. victorinii est-il une espèce ancienne, ou
s’est-il formé sur place ? Si c’est une espèce ancienne, il faudrait expliquer
d’où elle est venue, et pourquoi elle a disparu des autres estuaires de l’Atlantique
où, semble-t-il, les conditions écologiques qu’elle recherche sont toujours
présentes. Mais on peut suggérer une autre explication, à savoir : l’évolution
du G. victorinii à partir d’un élément reliqual cordillérien de la section
Crossopetalae, évolution opérée en tout ou en partie sur les nunataks des
montagnes avoisinant la baie Saint-Paul. Les conditions climatiques ayant été
bouleversées à la fin de la glaciation, le G. victorinii, ou son ancêtre, aurait
été forcé d’adopter cet habitat d’occasion qui lui offrait une certaine
équivalence écologique.
Le G. victorinii est accompagné dans son habitat par un groupe de plantes qui
ont été signalées dans l’énumération des espèces de la
section estuarienne
du Saint-Laurent, et qui accusent des variations profondes et endémiques,
d’ailleurs plus ou moins fixées. Toutes ces modifications sont vraisemblablement
dues aux mêmes causes, causes que l’on ne peut que conjecturer. Bon nombre de
ces plantes de l’estuaire du Saint-Laurent ont pu s’établir sur ces rivages au
temps de la mer Champlain, lorsque le climat était notablement plus chaud
qu’aujourd’hui. Le retrait graduel de la mer a permis à ces plantes de s’adapter
à la déchloruration des eaux. D’autre part, le refroidissement du climat a
obligé certaines espèces normalement terrestres à rechercher l’habitat estuarien
où, comme l’on sait, la température des eaux offre des particularités
remarquables. En effet, à marée basse, le soleil réchauffe la vase. Lorsque le
flux commence, l’eau montante s’approprie cette chaleur, et il se trouve alors
que la partie basse de la zone intercotidale, baignée par une eau plus chaude
que celle des habitats humides des mêmes latitudes, devient, quand elle est peu
profonde, un milieu favorable à la vie de plantes aquatiques appartenant
normalement à une latitude plus méridionale : Eriocaulon parkeri, Scirpus smithii,
Isoetes tuckermani, etc.
D’autre part, la partie supérieure rocheuse de la zone intercotidale qui
découvre complètement deux fois le jour, est soumise à des conditions toutes
différentes. Il y sévit, la moitié de la journée, à marée basse, une évaporation
intense qui en fait un habitat naturellement plus froid que l’habitat situé
immédiatement au-dessus de la berge. D’où la persistance d’une florule terrestre
plus ou moins subarctique (Astragalus labradoricus, Gentiana victorinii,
Allium schoenoprasum var. sibiricum) qui forme un contraste frappant avec la flore
aquatique avoisinante, de caractère relativement thermophile.
L’habitat estuarien constituerait donc encore un véritable insularisme
physiologique, avec toutes les conséquences que cela entraîne. D’autre part, le
rythme incessant d’émersion et d’immersion qui, quatre fois par vingt-quatre
heures, modifie profondément toutes les conditions de respiration, de
transpiration, de nutrition et de photosynthèse, pourrait bien être un facteur
de première importance. Ce rythme estuarien reproduit toutes les phases et tous
les chocs du rythme saisonnier, il en est quelque chose comme la haute
fréquence, en sorte que l’individu, et par suite l’espèce, vivent pour ainsi
dire plus vite, brûlant les étapes qui ont pour terme de nouvelles possibilités
biologiques.
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Frère Marie-Victorin (1885-1944)
Flore laurentienne, p. 74, 75.
le samedi 12 avril 2003 - le lundi 30 mai 2011
constante mouvance de mes paysages intérieurs
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